Ouvrage public sur terrain privé : doit-il être déplacé systématiquement en cas de décision illicite ?


On le sait, le fameux adage suivant lequel ouvrage public mal implanté ne se déplace pas, n'est plus d’actualité. Alors que les faits primaient sur le droit et qu'un ouvrage mal planté ne pouvait être déplacé, la règle est désormais inversée. Il existe une présomption qui joue à l’encontre de l’ouvrage public doit être déplacé dès lors qu’il a été réalisé sur le fondement d’une décision illégale (annulée par exemple par un tribunal administratif ou constituant une voie de fait ou une emprise irrégulière sur une parcelle privée).

On pourrait donc en déduire, que la plupart des ouvrages publics, doivent donc faire l'objet d'une décision de remise en état c'est-à-dire d'un retour à la situation d'origine de la parcelle occupée.

Mais en pratique et comme souvent avec l'administration c'est beaucoup plus compliqué à mettre en œuvre.

Tout d'abord il va falloir déterminer le juge compétent pour ordonné la remise en état.

Sans entrer dans le détail, il s'avère que la théorie de la voie de fait devient de plus en plus restrictive. Il faut démontrer la destruction d'un ouvrage pour pouvoir entrer dans la sphère de compétence du juge judiciaire. Ce sera donc le plus souvent au juge administratif de trancher, sur l'existence ou pas d'une emprise irrégulière.

Mais bien qu'il reconnaisse cette emprise illicite, le juge n'est pas tenus de procéder au déplacement de l'ouvrage public. Il dispose encore d'une certaine marge de manœuvre à sa disposition.

À l'instar de ce qui existe en matière d'expropriation, le juge procède à une analyse coût et avantages de la mesure de remise en état et de déplacement.

Ainsi ainsi il ne faut pas que cette décision ne produise des effets manifestement excessifs pour le budget public mais en même temps le juge doit défendre les intérêts des propriétaires privés.

Assis il analyse de la jurisprudence permet de dégager des solutions qui parfois sont contradictoires, ou qu'il repose strictement sur des éléments relatifs à l'affaire considérée. 

Les tribunaux de l’ordre administratif  ont ainsi refusé d’ordonner la démolition ou le déplacement des ouvrages suivants :

    - des ouvrages constitués d'un cheminement piétonnier ce qu'ils présentent un intérêt pour l'ensemble du public fréquentant une station balnéaire, et n'auront qu'un impact limité sur le milieu naturel du rivage (CAA Bordeaux, 7 juin 2012, n° 11BX02413),

  - le poteau électrique surplombant un terrain non bâti dont les seuls inconvénients pour son propriétaire sont d'ordre esthétique (CAA Lyon, 14 oct. 2021, n° 20LY00737) ; ou lorsque le propriétaire n'invoque aucun élément technique ou financier faisant obstacle à sa démolition ou à son déplacement (CAA Versailles, 12 nov. 2020, n° 17VE03741) ;

    - une section de conduites assurant la distribution de l'eau potable et l'écoulement des eaux pluviales en raison de son coût important pour une commune de moins de 500 habitants dont les moyens financiers sont limités » (CAA Marseille, 1er déc. 2020, n° 19MA03122, Cne de Villemagne l'Argentière) ;

    - un transformateur entraînant un préjudice d'agrément des propriétaires du terrain occupé dès lors qu'Enedis n'apporte pas la preuve de difficultés techniques particulières empêchant ce déplacement (CAA Nancy, 16 mars 2021, n° 20NC00531, Sté Enedis, Énergie - Env. - Infrastr. 2021, étude 20, J.-S. Boda).


Ainsi pour ce qui concerne la conduite d’eau, la Cour administrative de Marseille justifie sa décision par le fait que : « Il résulte de l'instruction que la gêne occasionnée par l'implantation des conduites, en bordure de la propriété des requérants clôturée par un mur bas, tient à l'impossibilité de planter une haie de bambous. Le tracé de ces conduites est en ligne droite le long des propriétés qui longent l'avenue Jean Jaurès. Ces ouvrages assurent la distribution d'eau potable et l'écoulement des eaux pluviales dans une commune rurale peuplée de 462 habitants et dont les moyens financiers sont limités. Dans les circonstances de l'espèce, le déplacement uniquement de la section de ces conduites traversant la propriété des requérants entraînerait une atteinte excessive à l'intérêt général ».


Inversement le juge administratif admet le bien fondé d’une demande concernant :


- le déplacement d'une canalisation qui traversait une parcelle et empêchait son propriétaire de réaliser des travaux (CAA Nantes, 29 sept. 2009, n° 08NT03168, Cne de Sonzay, AJDA 2010, p. 222) ;

- le déplacement d'un transformateur électrique (CAA Nancy, 16 mars 2021, no 20NC00531, Sté Enedis ; CAA Douai, 2 mars 2021, n° 19DA01861, Syndicat des copropriétaires de la résidence Carré Cézanne) ; ou la destruction du socle d'un transformateur et le déplacement de poteaux électriques (CE, 9 déc. 2011, no 333756, Mme Lahiton) ;

- le déplacement d'un pylône électrique en raison du trouble de jouissance qu'il occasionnait à une entreprise et au danger qu'il faisait courir à ses employés (CAA Nantes, 4 févr. 2022, n° 21NT00329, Sté élevage de Durtal) ;

- la démolition d'un parking eu égard à sa faible ampleur et au coût limité de sa démolition (CAA Marseille, 3 nov. 2020, n° 20MA01852, Cne de Montpezat).


Ainsi, en ce qui concerne la conduite d’eau, la décision est ainsi motivée :


"Considérant, d'autre part, qu'il résulte de l'instruction que la canalisation litigieuse traverse en diagonale la parcelle E 6 et constitue ainsi un obstacle à la réalisation de tout aménagement sur ce terrain ; qu'il ne résulte pas de l'instruction que son déplacement présenterait une difficulté technique sérieuse, dès lors notamment que M. Akar se déclare prêt à accepter l'établissement d'un tel ouvrage dans le sous-sol d'une autre parcelle que celle où il a entrepris de réaliser un étang ; que pour justifier du coût des travaux d'enlèvement et de réinstallation de ladite canalisation, d'une longueur d'environ 130 mètres, la commune se borne à produire deux devis estimatifs d'un montant respectif de 18 006,80 euros et 11 240,70 euros hors taxes ; que dans ces conditions, eu égard aux caractéristiques de cet ouvrage, à l'existence de possibilités alternatives de desserte en eau potable des hameaux précités, et compte tenu de l'importance de l'atteinte à la propriété privée subissant l'emprise irrégulière, l'enlèvement et le déplacement de la canalisation en cause n'entraînent pas d'atteinte excessive à l'intérêt général…"


Il s’agit  bien d'une analyse au cas par cas, entre les intérêts privés et les intérêts publics. On ne peut donc pas en déduire une solution de principe qui serait valable pour tout type d'ouvrage public. Il faut donc démontrer la possibilité d’une solution alternative pour l’administration et son faible coût pour convaincre les juges de déplacer l’ouvrage.


Cette protection de l’ouvrage public n’exclut pas cependant la possibilité de demander une compensation financière sous la forme d’une indemnisation d’occupation : ainsi, dès lors qu'elle ne porte pas atteinte à l'intégrité et au fonctionnement de l'ouvrage public, le juge judiciaire sera compétent pour examiner la demande en paiement d'une indemnité d'occupation d'un ouvrage public sur une propriété privée (Cass. 1re civ., 9 juin 2017, no 16-17.592, AJDA 2017, p. 1200). Cela reste donc une action ouverte même si l’ouvrage ne peut être déplacé.


Enfin, force est de rappeler que cette protection spéciale de l’ouvrage public qui subsiste au moins en partie ne vaut que pour les ouvrages immobiliers qui ont été créés pour le compte de la personne publique ou pour le compte d’établissements qui ont mission d’intérêt général (par exemple la décharge gérée par une personne publique est considérée par la jurisprudence comme un ouvrage public, CE, 5 mai 1976 n° 96822). On sera toujours plus circonspect pour un un simple conteneur d’ordures ménagères (Voir néanmoins, dans le sens d'une protection au titre des ouvrages publics, CE, 7 juin 1999, no 181605 ; CAA Versailles, 27 juin 2019, n° 17VE00466).


Me Laurent GIMALAC, Avocat spécialiste, Docteur en droit,

Ancien chargé de cours à l’UNSA.

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