projet de statuts onue

M. Laurent GIMALAC, Président de l’association Gaïa Themis
Interview préparatoire du colloque du CHEE sur d'éventuelles pistes de recherche en matière d'OME.

La croissante séparation entre ''Nord'' et ''Sud'' du monde influence profondément le contexte international actuel: elle est la ligne de démarcation le long de laquelle les crises contemporaines les plus aiguës trouvent origine et aliment.

Il n'existe aujourd'hui aucun problème international majeur, politique, économique ou environnemental, qui ne soit lié aux intenses inquiétudes des populations du sud.


Votre association s’est fixée comme objectif la création d’une OME

Quelles solutions proposez-vous pour surmonter les difficultés d’un tel projet?
Quelles missions et quelle architecture proposez-vous pour une OME?


La création d’une organisation mondiale de l’environnement nous présente un triple défi qui se résume en trois mots clefs :

Organisation.


Méthode.


Evaluation.


I – ORGANISATION


Nous n’avons pas à ce jour de formule unique statutaire mais une série de propositions avec leurs variantes : 5 sont répertoriées dans le présent colloque mais il est possible d’établir des « mixages » entre deux formules pour y renforcer par exemple le pouvoir exécutif ou judiciaire. Elles présentent à mon avis un inconvénient majeur : elle ne constitue pas une rupture avec le mode de gestion actuel des questions environnementales qui restent dévolues pour l’essentiel à des organismes « techniques » dont la représentation démocratique est sujette à caution et de fait, donc les pouvoirs sont réduits à un rôle d’influence dans le meilleur cas de figure.
Il n’y aura vraisemblablement jamais de formule idéale et les statuts définitifs seront certainement le fruit d’un compromis imparfait comme c’est souvent le cas dans les relations internationales. La problématique des rapports entre le Nord et le Sud ne fait que renforcer la difficulté de parvenir à un tel accord car partie doit en effet faire des concessions importantes et il y des limites qu’elles ne sauraient franchir :

les pays en voie de développement ne veulent pas sacrifier leur croissance économique sur l’autel de principes qui leur seraient imposés par des pays déjà développés,
les pays développés sont soucieux de conserver leur primauté technologique et ne veulent pas partager leurs connaissances technologiques les plus pointues sans contrepartie.
L’organisation d’une future OME ne peut que se ressentir de ces intérêts en apparence contradictoires. A cela s’ajoute le rôle d’influence que veulent jouer les ONG qui ne souhaitent pas voir accaparer tout le pouvoir par les représentants des Etats. Or, si on ouvre la porte aux ONG, il faudra nécessairement accueillir également les représentants des milieux industriels qui ont également une vision et des intérêt à faire valoir.
Ainsi, ce n’est pas une simple agence qu’il s’agit de créer dans le prolongement du PNUE existant mais plutôt une série d’institutions organisées et coordonnées entre elles ayant à la fois un pouvoir législatif, exécutif voire judiciaire… : une assemblée, un comité exécutif et une cour de justice environnementale ou une simple chambre d’arbitrage.


A – LE MODELE MONISTE


Il serait fondé sur une assemblée représentative et démocratique à l’instar de l’assemblée des nations unies par exemple qui existe déjà et qui pourrait être sollicitée également pour la mise en place des institutions de l’OME et notamment d’un organe exécutif, une sorte de comité directeur, de commission (pour reprendre la terminologie européenne) disposant de véritables pouvoirs mais dont le mandat serait limité dans le temps.
Cette solution présente l’inconvénient de marginaliser les pays les plus riches qui bien évidemment n’y trouveront aucun avantage. Ils n’auront aucun intérêt à donner leur consentement à une structure qui les néglige…
C’est pourquoi, l’idée d’un modèle dual, choquante pour en apparence par rapport aux principes démocratiques, peut paraître le plus adaptée à la situation.


B – LE MODELE DUAL


Dans modèle, il s’agirait de faire désigner deux chambres restreintes (10 à 30 délégués maximum) :

l’une dont les membres désignés le seraient par continents ou grands ensembles démographiques en proportion des populations qui y résident (ce qui mettrait en avant certains grands pays comme l’Inde et la Chine en Asie ou le Nigeria en Afrique qui dépasse 100 millions d’habitants)
l’autre dont les membres seraient désignés en fonction d’un critère économique : le produit brut de leur ensemble régional ou de leur pays, ce qui mettrait en exergue les pays développés ou les ensembles tels que l’Amérique du Nord et l’Europe ainsi qu’une partie de l’Asie (Japon…)
Bien évidemment la première chambre pourrait être composée de membres élus par l’assemblée des nations unies. La seconde serait désignée par les Etats membres les plus puissants sur le plan économique.
Ce modèle présente en apparence l’inconvénient de « constitutionnaliser » la fracture Nord/Sud. Mais cette critique peut être levée pour deux raisons :

cette fracture existe déjà dans les faits : il vaut mieux jouer cartes sur table plutôt que jouer un jeu hypocrite dans lequel les pays développés sont toujours les gagnants,
la composition des chambres est évolutive : certains ensembles peuvent se retrouver dans les deux chambres en même temps (comme la Chine si sa croissance se maintient…)
Les textes seraient alors adoptés par les deux chambres, lesquelles désigneraient également un comité exécutif. Une juridiction indépendante pourrait être par la suite associée pour assurer le respect desdites conventions (ce qui suppose l’existence d’un pouvoir contraignant à l’égard des Etats) et l’élaboration de projets de textes.
Il faudrait éviter le blocage lors des votes en évitant par exemple le droit de veto et la mise en place du principe majoritaire.
L’intervention des ONG devrait être instillée avec prudence afin de ne pas compliquer à l’extrême le processus de décision : par exemple à travers une sorte de haut conseil donnant son avis sur les projets et qui serait composé des ONG mais aussi les représentants des entreprises. L’avis conforme du Conseil ne serait décisif que sur certaines questions clefs à définir dans le règlement interne de l’OME.

II – MÉTHODE


Au cours de ce colloque différentes méthodes ont été évoquées permettant de mettre en place un système que l’on souhaite le plus cohérent possible : financements, utilisation des mécanismes du marché, signature de conventions internationales…
Poursuivons cette logique qui est bonne en la prolongeant dans le cadre de cette réflexion qui sous tend l’examen de trois formes de transferts :

La méthode des transferts financiers et des transferts de technologie : l’illusion de prendre à l’un pour donner à l’autre
La méthode globale incluant le facteur culturel et le facteur mercatique : l’exemple du commerce équitable et des initiatives éducatives.


1- La méthode des transferts financiers et technologiques: l’illusion de prendre à l’un pour donner à l’autre

Nous avons pu voir que des aides financiers existent au niveau international et européen mais ces efforts restent limités face à l’aggravation des dommages écologiques ( FEM, BEI, PNUD, Banque Mondiale…). L’argent est comme le sable : il semble s’écouler entre les mains de ceux qui le reçoivent sans qu’ils sachent le faire fructifier et créer de véritables richesses dans les PVD.
Les populations locales sont beaucoup moins exaltées que les pays occidentaux ; elles ne sont de surcroît pas « dupes » de cette aide qu’elles associent parfois à une « aumône ».
Quid par exemple des financements en faveur des énergies du futur telles que l’éolien, le solaire et l'hydroélectrique ? Il semble que les progrès attendus ne sont pas au rendez-vous.
C’est d’autant plus surprenant que, selon les estimations de Greenpeace, " le coût total de la fourniture d'énergie renouvelable à destination des populations les plus pauvres est estimé à moins de 50% des 500 milliards de dollars qui seront investis, dans la prochaine décennie, dans les infrastructures pour les combustibles fossiles dans les pays en voie de développement ". C’est donc aux pays développés que revient la responsabilité de ce choix.


2- La méthode globale incluant le facteur culturel et le marché : l’exemple du
commerce équitable et des initiatives éducatives.


Les aides ne sont pas toujours aussi efficaces que le marché : encore faut-il qu’il existe ou qu’il puisse être créé ce qui suppose non seulement une offre mais également une demande. Celle-ci ne peut-être stimulée que par un pouvoir d’achat des consommateurs et un effort éducatif.
a) La pédagogie des consommateurs est enfin une méthode proposée afin de réaliser un commerce équitable aussi bien dans les pays du « Nord » que les pays du « Sud ».
- Nous pourrions citer comme exemple la campagne allemande « Fair feels good » lancé par le ministère de la coopération économique et du développement qui a pour but de sortir les produits du commerce équitable vers la grande distribution.
Pour éduquer les consommateurs allemands six millions d’euros ont été débloqués.
En soutenant une campagne de promotion pour le commerce équitable, le gouvernement allemand souhaite contribuer à la lutte contre la pauvreté dans les pays en voie de développement. Il espère ainsi respecter son engagement, pris avec d’autres pays industrialisés en 2000, de réduire de moitié la pauvreté dans ces pays d’ici 2015
Le consommateur doit ainsi connaître les produits et le mécanisme du commerce équitable.
La grande distribution a adopté la même position. Il a été enregistré une hausse du C.A. des produits équitables +18% en 2002, et +7,5% en 2003, alors le marché général des produits alimentaires stagnent!
Le café, le thé et le chocolat sont les principaux bénéficiaires de cette expansion
- Un autre exemple est révélateur d’initiatives culturelles : la Banque mondiale lance un projet éducatif pour tous les enfants du monde d’ici 2015, cela concerne 125 millions d’enfants dans 47 pays pauvres, pour un coût évalué entre 2,5 et 5 milliards de dollars supplémentaires par an.
Ces programmes éducatifs permettent de valoriser la culture propre des pays du « Sud » tout en les permettant d’accéder au développement et à la protection de l’environnement.
b) En ce qui concerne la création des nouveaux marchés, les progrès sont plus mesurés. Le commerce équitable retrouve semble-t-il une nouvelle vigueur grâce notamment à une meilleure implication des grandes surfaces qui n’hésitent plus à présenter sur leurs linéaires des produits issus de ce mode de production. Pourquoi ne pas imaginer des états généraux de la distribution (comme en matière de prix) pour que ces produits bénéficient d’un meilleur référencement ce qui suppose que les grandes surfaces respectent toutes la même règle pour ne pas être pénalisées par cette nouvelle contrainte).


III – EVALUATION


Il ne suffit pas de mettre en place une structure. Il est nécessaire de définir au préalable son champ d’action. La structure n’en est que la résultante et pas une fin en soi. Définir les missions de l’OME rend impérative l’analyse préalable de ses fins et l’appréhension du « préjudice écologique » qui est une des clefs de voûte de tout le système. En effet tout le mode opératoire va s’organiser autour des concepts suivants :
Le préjudice écologique est un concept clef. Pourtant, il est encore très mal appréhendé.
Une définition du préjudice écologique semble devoir s’imposer afin de comprendre les moyens particuliers de prévention de ce dommage.
Le terme de dommage écologique recouvre deux formes de préjudice bien distincts :

d’une part, le dommage causé aux personnes ou aux choses par le milieu dans lequel elles vivent et
d’autre part, le dommage causé au milieu naturel indépendamment des intérêts humains, corporels ou matériels lésés.
En droit français, le dommage écologique est soumis à une action en responsabilité civile adaptée visant à réparer les conséquences des dommages portés à l’environnement même lorsque la cause n’est pas qualifiée de faute. Mais cette action est difficile à mettre en œuvre en raison de la difficulté de prouver l’existence du dommage écologique :

c’est un dommage aléatoire,

c’est dommage parfois futur (effet de serre, dégradation de la couche d’ozone).
c’est un dommage reconnu mais pas toujours évaluable financièrement.
La difficulté à apporter la preuve du dommage entraîne des conséquences d’un point de vue de la prévention, de la réparation et de la répression du dommage.


1 – la prévention du préjudice écologique


Elle reste encore insuffisante en raison de :
- l’absence de généralisation des mesures préventives :
Tout d’abord, le préjudice écologique tente d’être maîtrisé à travers plusieurs méthodes internationales afin de pouvoir prévenir son apparition, telles les certificats environnementales des entreprises : les éco-labels, la norme ISO14001, le certificat EMAS et les managements environnementaux. Cependant, l’adhésion à ces méthodes est facultative et devrait être rendue obligatoire.
- les marges de manœuvres limitées des Etats dans le domaine fiscal :
La fiscalité semble être une bonne solution mais en raison des plafonds de seuils d’imposition qui sont atteints, il serait nécessaire de reconvertir certaines taxes en les basculant sur la prévention environnementale (taxe sur les produits pétroliers). C’est donc tout le système fiscal qui est à revoir en ce qu’il ne distingue pas systématiquement les activités polluantes des activités non polluantes et touche aveuglement la valeur ajoutée de l’entreprise et le revenu des particuliers. Il paraît difficile de transférer de telles prérogatives à une OME ce qui supposerait que les Etats renoncent à l’une de leur part essentielle de souveraineté.
- l’incertitude qui pèse que le domaine du principe de précaution et son effectivité dans le droit : or la généralisation d’un tel principe aurait pour effet de renforcer la prévention en la complétant par une prise en charge en amont d’une simple potentialité de risques.


2 – la réparation et la répression du préjudice écologique


Pour l’instant, la question de la réparation n’est le plus souvent abordée qu’à travers la répression et des actions procédurales dont on sait qu’elle ne même pas toujours à des résultats concrets (Amoco Cadix, Exxon Valdez…) pour les victimes.
Il semble cependant que les mentalités changent et que l’on n’hésite plus à ester en justice contre de très grands groupes.
Une plainte a été déposée relative au réchauffement planétaire, le jour de l’ouverture du sommet de Johannesburg par des victimes américaines contre deux agences fédérales. Deux autres affaires liées à la pollution par hydrocarbure impliquant les sociétés Exxon Mobil et Chevron-Texaco montrent qu’à ce jour les peines prononcées par la Justice restent dérisoires et décevantes attestant de la nécessité d’une Justice mondiale dans ce domaine plus efficace.
De surcroît, le préjudice environnemental qui est dual n’est souvent qu’imparfaitement intégré dans ces jugements : la victime qui est au centre du procès est l’homme, pas la nature !
Dans un souci d’efficacité, au niveau mondial du préjudice écologique, la création d’une infraction pénale de crime contre l’environnement semble nécessaire au regard de la gravité de certains actes commis vis-à-vis de l’environnement.
La mise en place également d’une Cour Mondiale de l’Environnement serait adaptée aux préjudices tels, les atteintes aux ressources en eau, la pollution par les transports et le préjudice causé à la couche d’ozone par les carences dans les législations nationales et internationales.
Cette Cour permettrait aux ONG d’exercer un droit de critique suivi d’effets par des actions judiciaires. Un Procureur Mondial serait chargé d’instruire les plaintes afin de définir si l’Etat incriminé ou la multinationale doit être ou non poursuivi.


3 – la localisation des du préjudice et des moyens pour atteindre les fins précitées


Une organisation internationale ne doit pas devenir une structure omnisciente et centralisée : il n’est pas contradictoire de prôner la création d’une OME et de souhaiter la mise en place et la généralisation du principe de subsidiarité.
L’appréhension, la prévention, la réparation et la répression du préjudice écologique ne doivent pas être du ressort exclusif de l’OME mais aussi des régions, des ensembles plus restreints, dans certains cas plus à même de cerner les difficultés (pollution aux pesticides), tel les agendas 21 dans les Pays du Tiers Monde.
L’OME doit garder la maîtrise de l’action principale et en vertu du principe de subsidiarité, laisser une grande autonomie à des collectivités lorsqu’elles sont plus efficaces.

 

© Laurent Gimalac 2014